[Les transcriptions sont faites en maintenant les fautes d’orthographe de Gherasim Luca] Bucarest, 21.4.46 Mon très cher ami, enfin des lettres, des livres, des revues… On a reçu en même temps trois paquets de Nadine (merci, merci, ma chérie, je t’écrirai tout à l’heure). Mais ayant lu ta lettre ma curiosité excitée par tes nouvelles reste toujours insatiable. La frénésie que tu mets dans la description théorique de tes toiles allument mon grand désir de les voir. Je désire LES voir, TE voir, VOUS voir, ME voir. Qu’est-ce que tu penses de celà : il paraît qu’une des meilleures salles d’exposition de Bucarest veut bien se mettre à notre disposition (dans deux semaines on sera, peut-être, en mesure de t’apporter la (…)titude). Nous avons projetés une exposition collective surréaliste. Le fait que les surréalistes sont dissipés sur les trois continents (difficultés de transport et autres) nous empêchent de penser à une exposition international à Bucarest mais, pour éviter quand même le caractère rationel de notre manifestation, nous avons pensés à une participation étrangère : toi, Hérold et les ouvrages des surréalistes, « extra-roumains » que tu pourras nous envoyer. Nous nous sommes vus hier soir et on tombé tous d’accord sur ces points. Es-tu d’accord ? Réponds-nous le plus tôt possible. En passant je veux te parler d’un détail de ta lettre qui m’a fait beaucoup de peine. Tu m’écris d’être content que nous ne sommes plus des mystiques. Ce n’est pas difficile d’entrevoir l’origine de cet information calomnieuse. C’est inutile de te dire que nous ne sommes pas, Trost et moi, nous n’avons jamais été, des mystiques. // De même, c’est inutile de passer devant toi tous les détails d’une polémique qui a duré presque deux années entre deux fractions surréalistes de Bucarest. Jusqu’au moment où un de nous deux, Trost ou moi-même, aura la possibilité de parler personnellement avec toi je te prie de prendre pour l’expression exacte de notre pensée seuls les messages écrits, imprimés ou signés par nous. Pour le moment les deux fractions surréalistes (je dis : deux, mais elles sont, peut-être, trois ou quatre) ont renoncés à toute activité polémique et elles envisagent même une activité commune, malgré les potentialités qui les séparent. Excuses-moi de t’avoir ennuyé avec cette petite histoire balcanique. Mais il paraît qu’il y a aussi le côté général de cette petite histoire locale. Nous avons appris de l’existence d’une groupe Parlan (ésotérique) à Mexico, de deux tendances opposés à New-York (Ford, Matta, Tanguy, d’un côté, et de l’autre des figuratifs. Qu’est-ce que tu en penses ? Malgré l’attirante idée de fractionisme, caractéristique pour tout organisme vivant, le confusionisme inérente à ces sortes d’histoires est assez ennuyant. J’aimerais bien connaître tes oppinions. En ce qui nous concerne, pour établir entre nous un support beaucoup plus exact (séparation nettement calitative ou, au contraire, une collaboration plus serré) nous avons renoncés, pour le moment, à tout esprit fractionnante. Je rencontre de temps en temps Gellu, Virgil, dans nos réunions en communs, je tiens beaucoup à l’amitié de Paul, que je visite assez souvent et je vois quotidiennement Trost. // Comme tu le vois, malgré notre activité « prodigieuse », nous n’excitons aucune attirance pour les gens. Nous restons cinq, les mêmes. D’un certain point de vue cette constation me paraît très favorable et je le fais avec plaisir. La difusion un peu exagéré du surréalisme en Amérique (en France et partoût) n’est-elle pas inquiétante ? Tous les milieux culturelles, mêmes les plus rétrogrades, commencent à chercher dans les résultats lyriques et plastiques du surréalisme une certaine valeur positive. Cette amabilité unanime n’est-elle pas suspecte ? La nervosité d’un mouvement surréaliste active me paraît de premier ordre pour désigner l’esprit confusionelle entretenue, autour du surréalisme, par les intrigue oficielle de partoût. Gellu m’a dit t’avoir écrit d’établir (lorsque Breton rentrera à Paris) une liaison effective avec nous. L’exposition que nous projetons a Bucarest sera un esset concret de rendre active cet liaison. On envisage aussi une enquête-aux-participants, mais nous te parlerons de celà lorsqu’on sera mieux renseignés sur la salle. La lecture des livres envoyés par Nadine nous prend presque tout le temps, depuis quelques jours. On les passent de l’un à l’autre. Jusqu’au moment où on pourra partir vers vour, n’oubliez pas que nous /sommes/ seuls, terriblement seuls. Ne nous oubliez pas. J’aimerais savoir l’adresse de Hérold. Veux-tu me la rendre ? J’écrirai à cet ami précieux, il sera forcé de répondre. Le livre de Char, dont tu nous parles, nous /ne/ l’avons pas encore. Je devais partir à la montagne pour quelques semaines mais malheureusement dans le dernier moment ce n’était plus possible. C’était une femme qui voulait m’emmener avec elle dans // une villa qu’elle a à Busteni mais elle est complètement folle (névrose obsessionelle) et moi qui voulait aller vers la tranquilité, soigner mes nerfs ! Je me sens très mal à cause de celà. Jusqu’à la fin je serai forcé d’y aller si je ne trouve entre temps une possibilité moins dangereuse. Et ta propre maladie, comment elle?va ? Te soignes-tu ? Si Mabille se trouve à Paris il devait s’occuper de toi. En tout cas, ne négliges pas ta santé. As-tu essayé de la (…) homéopatiquement ? Excuses-moi, je me suis permis de (…) chez les Brauner, leur dire que j’ai reçu des nouvelles (…) Ils étaient inquiété à cause de ton silence. Mon cher ami, je t’embrasse ET J’ATTENDS COMME D’HABITUDE TES SIGNES, À 100° Luca P. S. Tous mes livres sont resté chez Nus (Te rappeles-tu de lui ?) Il s’appele Nuselovici ou Moldoveanu. Si tu le rencontres par hasard dans la rue – je ne connais pas son adresse actuel – tu peux lui demander mes livres et les garder chez toi. Mes affaires (meubles, tableaux, habits, etc.) se trouvaient 5, cité Falguière chez Mmes Huatt ( ?), la concierge. Existe-elles encore ? Gherasim Luca Fund. Negru Voda 6 etaj III apart 6 Bucarest Roumanie