[Enveloppe : de : Gherasim Luca, Fermo Posto, Stromboli (Provincia di Messina), Italie à Monsieur Victor Brauner, Villa Beaulieu, Chemin du Canisy, Blonville s/Mer (Calvados), Francia Cachet : postée en Italie, en 1958 ?] Stromboli, le 20 août. Mon cher Victor, après une semaine de voiture sur les routes qui longent presque sans interruption – en serpentine – la côte, nous sommes arrivés à Messine où, devant le train pour Milazzo, nous avons quitté nos amis pour nous embarquer le lendemain à l’aube pour Stromboli, île et volcan nus près duquel nous habitons depuis quelques jours une maison style arabe, dans un paysage de type messian ( ?), non pas encore remis de ce long voyage mais comme vitalisés par les sombres émanations qui nous entourent. À un km. de marche dans la nuit nous nous sommes attardé l’autre soir au point dit de l’Observateur d’où, ce qui d’en bas n’est que fumée et vacarme, prend ici des formes éblouissantes, incandescentes, forme d’artifices qui à force de les (…) rallument une sorte de vieille angoisse émerveillée dont la beauté doit certainement préfigurer certaines étuves ( ?) de conscience que la subjectivité brûlante appelle parfois illumination. La partie de l’île par où la lave s’écoule en pente rapide vers la mer est bien entendu inhabitée, la pente étant couvert d’ob(…), de (…), de figurines, de corps et, tout en bas, // des maisons, pour la plupart vides ou en ruines, ses habitants les ayant abandonné après la grande éruption de 1930 pour s’expatrier en Australie et en Amérique. Ainsi tout le temps devant soi est exemple frappant de la virilité d’une montagne (amour et massacre) et à nos pieds, cette mer terrible de tant d’horribles légendes (féminité égarante, farouche…) donne à nos promenades, à nos baignades, une mesure de nos gestes, une dimension mortellement vivifiante où l’insouciance des vacances frôle les paniques roses. Je comprend beaucoup mieux à présent le suicide d’Empédocle et d’autant moins l’absence totale d’une métaphysique et même d’une physique des trous en exécution. Dans mes poèmes, je crois avoir touché de (…) une ou deux fois ce miracle, mais comment ne pas être étonné (j’ai failli dire choqué) de le voir exposé en pleine clarté méditerannéene, dans les lieux dits gréco-romain, sans un vil ( ?) perpétuellement bleu ? Pendant que je t’écris, de sa voix profonde et mystique, le volcan t’adresse la vraie parole, ce qui couvre de ridicule chacun de mes mots je t’embrasse tendrement, Luca [à la verticale, à droite] Matta passe ses vacances dans l’île voisine, Panarea, avant mon départ nous avons convenu de nous rendre visite. – Micheline est en train de peindre – Nous restons ici jusque vers le 15 septembre.