Bucarest, le 8 avril 47 Très très cher ami, viens de recevoir la belle femme au sein scandaleusement découvert, ô comme il était provoquant dans sa noble nudité non-maternelle ce sein qui jamais ne sera sali par le lait punissant de nos enfances déchirées, ce sein splendide et pure, rempli de sperme de sperme uniquement de sperme. Et tes quelques mots entousiastes qui accompagnent la carte postale illustrée. Comment te faire part de la « joie » avec laquelle je les ai lu, il n’y a même pas une semaine depuis que j’ai eu le plaisir de recevoir de ta part une lettre écrite dans un entousiaste semblable (je te remercie bien mon cher Victor) et je t’assure que suis vraiment heureux de savoir que notre activité n’est pas vaine, qu’elle séduit, agit et inspire les quelques gens qui nous intéressent en ce monde, les seuls d’ailleurs à qui s’adressent tous nos messages. Et particulièrement je tenait tellement que mes signes réussissent à établir un contact frémissant avec ton cœur que la manière chaleureuse dont tu m’a communiqué la réception de mon poème a été une des choses que j’attendais avec fébrilité depuis des années. Nous avons reçu il y a quelques jours une lettre de Breton qui nous a tous séduits (nous lui avons tout de suite répondu la voyance, la beauté, la jeunesse perpétuelle de cet homme est vraiment incompréhensible dans ce sale monde divisé où même les enfants sont vieux et où tout pourri et s’écroule chaque jour autour de nous. Son appel à la confiance, à la réciprocité dans la confiance, c’est la moindre des choses qu’il nous demandait, il a notre admiration aussi et notre amitié totale et nous sommes certains que son vibrant instinct de surréalité saurra éviter toutes sortes de pièges que nos ennemis éternels ne cessent pas de lui jeter. La pureté de son regard, la pureté du nôtre ne forment maintenant qu’un seul tissu, imperméable à la bassesse occidentalement rafinée. Nous saurrons regarder ensemble droite dans la prunelle de ses yeux cette femme toujours à composer qui s’appelle surréalité, cette femme presque insaisissable dans son ??? extrême (elle a la vitesse de la lumière) mais toujours concrète, palpable et affolante comme l’amour même. J’attends avec impacience le moment de t’envoyer la deuxième série de l’Infra, pour l’instant les cahiers sont sous-presse mais la semaine prochaine j’espère te les envoyés. Comment faire pour être tenus au courrant avec tous ce qui regarde l’exposition de juin (avant et pendant l’exposition) et en général avec tous ce qui se passe dans le monde surréaliste. Veux-tu prier tes amis de nous envoyer régulièrement leurs publications, nous ferons de mêmes avec nos publications. Si tu me donne des noms et des adresses d’amis susceptibles d’être intéressés par nos démarches ils recevrons tous ce que nous imprimons ici. (Connais-tu les adresses de Duchamps, Péret, Tanguy, Matta, ???, Césaire… ?) Mon très cher Victor, encore une fois merci pour tes lettres. Ne m’oublies pas, écris-moi, que nous mangeons ensemble le fantôme de l’espace Je t’embrasse Luca et et j’embrasse aussi Jacqueline