TEL-AVIV, le 30 oct 50 Chers JAQUELINE et VICTOR, premièrement Trost et puis moi-même (à quand Paul Paun ?), nous voilà sortis du monde de la suffocation. Nous nous sommes maintenus pendant ces trois dernières années d’angoisse sans nom en équilibre sur un même fil en phosphore où la révolution, la poésie et l’amour se (…) un rendez-vous presque incompréhensible et d’une (…) sans égale. Te raconter tout ce qui s’est passé avec nous depuis que tu as reçu le dernier signe de ma part ? En dehors de notre effort permanent pour trouver un moyen de s’enfuir, nous étions constamment attentifs c’est-à-dire pratiquement sensibles à ce grand débâcle mental. Te raconter, te décrire l’indescriptible ? C’est la vanité de tout essai rationel et, à son temps, l’opposition de gauche a introduit assez d’erreur dans le débat. Il n’y a que la surrection, avec ses moyens spécifiques, splendides et irrationels, qui sera en état de déchiffrer l’horrible irrationalité du soviétisme. Involontairement nous sommes aujourd’hui les seuls surréalistes spécialisés dans ce genre d’horreur. // Artaud et Kafka ont vu eux aussi ce côté (…) de l’horreur mais ce qui fait la distinction de notre démarche c’est que le merveilleux, l’amour, l’innocence et le rêve ne nous a pas quitté pendant l’irrespirable et que, au contraire, il s’agissait pour nous de trouver de nouveaux appuis, efficaces et extrêmes, pour garder la surréalité de notre respiration. Je suis absolument certain que dans cette fin de révolution (?) que nous vivons tous, le monde occidental et surtout son centre spirituel qui est Paris a besoin de notre témoignage. Pour des raisons absurdes nous traversons maintenant la période dite d’exil. Sera-t-elle longue, sera-t-elle dure ? Nous attendons la réponse de Breton pour savoir nous répondre nous-même à cette question. Notre confiance dans la pureté mentale et active de Breton est immense. Et je regrette énormément ton détachement de lui dont je n’arrive pas à comprendre les raisons. Qu’est-ce qu’il se passait à Paris après cette merveilleuse exposition // internationale de 1947, date où votre amitié paraissait avoir atteint un point culminant ? Des intrigues ? des malentendus ? ou, au contraire, il s’agissait d’une vraie séparation idéologique, douloureuse mais objectivement inévitable ? Dis-moi, mon cher Victor, qu’est-ce qu’il se passait, qu’est-ce qu’il se passe ? Tant que je ne connaîtrai les frontières véritables de votre rupture, je continuerai à m’imaginer qu’il y a toujours un moyen de repriser ce qui paraît réprisable. Et je continuerai à m’(…) ce sol ingrat de médiateur. Tu te rends bien compte avec quelle impacience j’attends ta réponse et quel plaisir me fais l’idée que cette lettre dissipera les inquiétudes que tu as eu, ces dernières années, à cause de mon silence forcé. Maintenant je me trouve avec notre ami Trost en exil dans une belle ville au bord de la mer, la même qui baigne les côtes de la France. Nous voulons, nous devons gagner la France c’est-à-dire Paris, le plus tôt possible. // Les difficultés de vivre ici sont immenses mais les immenses virtualités (…) que nous (…) nous font surmonter presque somnambuliquement la dureté de ce détour isarélien. Tedy, que nous voyons souvent, a été gentil avec nous. Jacqueline, Victor, jusqu’au moment où nous serons de nouveau ensemble, n’oubliez pas, n’oubliez pas, (…) – de loin – notre solitude votre ami Luca Notre adresse postale est : F. SESTOPALI (Zola) FRISHMAN STREET 7 TEL-AVIV ISRAEL